J’empruntais à la bibliothèque du collège tous les livres d’art que je pouvais trouver. Je les dévorais durant des heures, assis, là au pied du grand chêne, sous le chant des cigales.
Rembrandt, de La Tour, Van Gogh, Vermeer étaient alors mes meilleurs amis.
Je me demandais sans cesse: mais comment font-ils ? Quel est ce génie, cette lumière qui les habite ?
Je reproduisais les tableaux de peintres célèbres au fusain sur mon carnet à croquis, ou parfois à l’huile sur mes cartons entoilés.
Je découvrais la magie de la vie, de l’anatomie, les portraits, et la force de la lumière, cette lumière presque divine.
Chaque nouvelle œuvre était un miracle à mes yeux d’enfant. Mais qui étaient ces maîtres ? Des demi-dieux, des extraterrestres ? Mon cerveau ne comprenait pas, je m’intéressais à leurs vies, plus précisément à celle de Vincent Van Gogh, dont les autoportraits me perturbaient, je voulais savoir qui se cachait derrière ces couleurs, derrière ce jaune chaud qui était devenu ma couleur préférée et qui ne m’a plus jamais quitté. A mon jeune âge je ne comprenais pas tout de la vie tourmentée qui fût la sienne, mais je me m’interrogeais : est-ce cela, être artiste peintre ? Doit-on créer toute sa vie dans la pauvreté, dans la souffrance et la folie ? Ces pensées me conféraient un immense sentiment de tristesse.
Comment peindre la vie avec cette même force, cette énergie comme si chaque cellule, chaque atome en nous-même ne vibrait que pour l’art ? Je ressentais une telle flamme en moi, mais devait-elle me consumer, ronger mon être ? Je parlais parfois à Vincent en peignant, je lui posais des questions :
« Comment aurais-tu peint ce portrait ? Conseille-moi… ».
« Regarde Vincent cette lumière dans ma garrigue, écoute son vent, ses cigales, entends ses couleurs qui murmurent à l’oreille de mes pinceaux. «
« Tu peins vite Vincent, très vite, tu veux immortaliser l’instant présent comme le ferait un appareil photo, raconte-moi … »
J’apprends alors à dessiner et à peindre rapidement, de plus en plus rapidement. Je ne veux pas créer dans l’analyse, avec ego, non, je veux apprendre à peindre avec mon âme, d’un trait, sans réfléchir, spontanément. Encrer, graver au plus profond de ma conscience toutes ces choses pour qu’elles ne disparaissent jamais, car lorsque mon corps terrestre mourra, je le sais, mon âme restera celle d’un artiste, pour l’éternité.